L'ayatollah du poil c'est moi !


"Pourquoi les hommes ne se maquillent pas ? 
Parce que personne ne leur a dit qu'ils étaient moches au naturel."

Une copine m'appelle l'ayatollah du poil, petit nom "rigolo" qui démontre bien mon intérêt pour le sujet. Je pense que ça signifie que j'ai aussi une légère tendance à m'emporter rapidement dès qu'on parle poil. 

Mettons les choses au claire dès le début, je suis féministe, cela signifie que je suis pour l'égalité entre hommes et femmes et que je pense également que chacun fait ce qu'il veut avec son corps. Si une femme (ou un homme) veut s'épiler le corps de A à Z et y passer deux heures par jour si ça la chante, grand bien lui fasse, je ne la jugerais jamais pour ça. 

J'essaie juste de prendre un peu de recul par rapport à tout ça, à l'épilation notamment mais pas que. 

Le livre de Klaire fait Grr m'a à ce propos fait beaucoup rire et réfléchir. Il s'agit d'un petit roman graphique qui évoque le rapport aux poils des femmes. Pourquoi les femmes passent des heures à s'épiler/se raser et - disons le - à se faire mal ? Quand j'interroge mes copines, la plupart me réponde "c'est moche les poils". C'est quand même fou qu'on ait réussi à nous faire détester une partie de notre corps, à nous faire trouver ça moche. Personne ne reprochera jamais à un homme d'avoir des jambes poilues - même si et j'y reviendrais plus tard, on incite de plus en plus les hommes à également s'épiler un peu partout. Rappelons-le, le poil a une utilité, les sourcils servent par exemple à ce qu'on se prenne pas des gouttes de sueur dans les yeux à longueur de journée, les poils du pubis protègent des bactéries et auraient même une fonction dans les rapports sexuels en conservant certaines odeurs qui seraient attirantes... Oui là tout de suite ça ne parait pas hyper probant. Pas mal de gynécologues disent que si les femmes s'épilaient moins, elles auraient moins de mycoses et autres maladies funky. (Nous avons donc atteint le point sueurs, bactéries et mycoses en peu de temps). 

La coloration des poils des aisselles, cette tendance étrange qui fait réfléchir.
C'était ça ou la photo d'une mycose vaginale.


Au delà du poil, je m'interroge régulièrement sur toutes les injonctions faites aux femmes, notamment le maquillage, les talons hauts, les jupes ... ce qui fait de nous finalement des femmes "féminines". J'ai énormément de mal avec cette conception. Etre féminine, ça veut dire quoi ?

La phrase d'accroche de cet article vient d'un tweet et j'y pense souvent. Ces derniers temps j'ai commencé à travailler dans une nouvelle structure et les femmes qui y bossent se maquillent peu voire pas du tout, je me suis donc dit que j'allais avoir l'air tache si je débarquais la première semaine avec un rouge à lèvres flashy comme j'ai l'habitude parfois de le faire. 
Ca m'a fait réfléchir à tout ça, au temps que je passais chaque jour à me maquiller, à me démaquiller. Je ne suis pas du genre à faire des masques et à utiliser beaucoup de produits. Mettons que je passe 15 minutes par jour à prendre soin de moi (hors douche), ça fait 1h30 par semaine (j'ai compté 6 jours), soit 4680 minutes, soit 78h par an, soit plus de trois jours passés à me maquiller. Autant de temps que j'aurais pu passer à œuvrer pour la paix dans le monde par exemple - comme dit Klaire fait Grr. Autant de temps que les hommes prennent pour faire autre chose. Conquérir le monde par exemple. C'est toujours la même chose en fait. 
C'est comme si on avait dit aux femmes : 
"Bon tes poils sont moches donc tu vas passer des heures à souffrir pour les supprimer, ta gueule au naturel comme ça c'est pas terrible, utilise du fond de teint, cache tes cernes, tu seras plus belle, pendant que moi je vais m'occuper des vraies choses importantes de la vie : la politique, l'économie, l'industrie."

Clémentine Delait, femme à barbe dans les années 1900. 
Je me suis demandée pourquoi personnellement je me maquillais. 
J'ai commencé à vraiment me maquiller il y a 4 ans je dirais (j'ai 26 ans rappelons-le). Quand j'ai commencé à regarder des vidéos de youtubeuses beauté. Ca m'a appris pas mal de choses. J'ai eu une folie make up, j'en ai acheté pas mal, ce qui fait qu'aujourd'hui j'ai une belle collection. Je n'ai jamais eu la sensation de me maquiller pour quelqu'un d'autre. J'ai commencé à vraiment me maquiller (c'est à dire autrement qu'en me mettant du khôl noir sous les yeux comme à 16 ans) parce que je trouvais ça rigolo de jouer avec les couleurs, parce que je me trouvais jolie avec du maquillage. Mais je ne me trouve pas forcément moche au naturel, j'arrive à sortir très facilement sans maquillage. J'estime avoir un rapport plutôt "sain" aux cosmétiques. Mais au final pourquoi ? Pourquoi acheter tout ça, pourquoi passer du temps pour tout ça ? Je suis sans doute plus jolie avec le teint unifié et les cernes camouflées. Mais plus jolie pour qui ? Pour la société ? Pour moi ? Pour mon copain ? Pourquoi il faudrait toujours être "plus jolie" en fait ? 
Les hommes ne se posent même pas la question. Un homme est beau ou pas selon les goûts de chacun mais on ne lui demande pas de "s'améliorer", d'être "beau pour tout le monde", on le "prend" comme ça. Finalement, c'est ça, on demande aux femmes de se maquiller, on leur demande d'être belles pour tout le monde.
"Mais je me sens mieux comme ça". Mais pourquoi tu te sens mieux comme ça ? 
"Bah des cernes c'est moche quand même, que ce soit chez un garçon ou une femme". Mais pourquoi c'est moche ? 
C'est juste naturel en fait. La beauté c'est culturel. Les critères de beauté dépendent de la société dans laquelle on vit. Si on apprenait à relativiser et à trouver nos cernes, nos poils, nos tâches et nos bourrelets jolis ?
Encore une fois, je ne juge personne, je suis la première à me maquiller et à aimer ça. J'essaie juste de m'interroger sur tout ça. 



La dernière fois, j'ai décidé de mettre mes escarpins. Ca me toque de temps en temps, alors que de base ce n'est pas vraiment mon style. Dans l'absolu, je trouve qu'un jean boyfriend avec des escarpins c'est très joli, mais la plupart du temps en escarpins je me sens un peu déguisée et surtout ce n'est absolument pas confortable ! Alors je sais, les nanas fanas de talons vertigineux me diront que c'est une question d'habitude... Certes, mais il faut tellement souffrir avant d'arriver à supporter ça !
J'ai marché un peu avec (et sur du plat dans une ville) et j'ai eu tellement mal aux pieds en rentrant chez moi que j'ai juste enfilé mes baskets. Et encore une fois je me suis demandée pourquoi les femmes s'infligeaient ça. Les talons hauts ça galbe le mollet, ça fait des jolies jambes. Mais encore une fois, pour qui ? Pourquoi les femmes doivent toujours être jolies ? Ca permet de se sentir mieux dans sa peau me direz-vous, mais c'est juste dommage qu'on ne commence pas par dire aux filles : "tes jambes sont jolies, sans talons, avec des poils, ton visage est joli avec ses imperfections, ses cicatrices, ses rougeurs (et ses poils aussi parfois)". Ce serait bien si les artifices n'étaient vraiment qu'un plus. Combien de femmes disent qu'elles ont des sales gueules sans maquillage ? Combien se sentent habillées comme un sac quand elles sont juste en jean, en sweat un peu informe et en basket ? Alors que je le rappelle encore une fois, les hommes ne se posent jamais ce genre de questions en fait. Un homme en sweat, jean et basket n'est pas habillé comme un sac. Même si je vous l'accorde, la mode tend à s'uniformiser, les corps et les vêtements se font de plus en plus androgynes.


Uniformisation de la mode. 



Ca me fait penser au livre "une histoire politique du pantalon" dans lequel Christine Bard dit que les
femmes sont tout le temps réduites au niveau d'objet, ce sont les femmes qu'on pare, qui portent des bijoux, qui se maquillent, qui achètent de "jolis vêtements", des vêtements "ouverts" qui dévoilent leurs formes et leur corps... Bref les femmes sont des sapins de Noël vivants.



Tout cela est évidemment à relier avec notre société de consommation... Parce qu'au final qui ça avantage tout ça ? On fait des femmes - et ce dès le plus jeune âge - des fashion victimes, on leur dit qu'elles doivent se maquiller, "bien" s'habiller, acheter des tas de produits pour se coiffer, entretenir leurs cheveux souvent longs, enlever leurs poils... Ca permet 1. De les faire s'intéresser à autre chose qu'à des sujets de société. 2. De les faire consommer. Il y a des études sur le prix que ça coûte d'être une femme. Du moins une femme qui respecte la plupart des codes dits féminins et qui a complètement intériorisé dès son plus jeune âge que tout cela était parfaitement normal.



Je ne suis pas en train de dire qu'on ne peut pas être féministe, porter des talons hauts et se maquiller. On peut diriger le monde et s'intéresser aux cosmétiques. BIEN EVIDEMMENT. Encore une fois, je m'interroge juste sur tout ça. 

Pour finir je voudrais revenir sur cette tendance, depuis plusieurs années maintenant, à faire des hommes des "fashion victimes", de plus en plus d'hommes se maquillent (anti-cernes et fond de teint), s'épilent, prennent soin de leurs barbes, mettent des crèmes... bref prennent soin d'eux. 
On pourrait voir ça comme une "avancée". Moi ça me pose question. 
Si ça permet aux hommes de se sentir mieux pourquoi pas, mais encore une fois pourquoi avoir besoin d'anti-cernes pour se sentir mieux ? Soyons clairs, ça permet aussi à l'industrie cosmétique et vestimentaire de conquérir un nouveau marché et de faire consommer plus à tout le monde. 




Au final, je crois que je préférais voir l'égalité se faire autrement. Ce serait finalement peut-être "mieux" si les femmes portaient moins de make-up, étaient moins portées sur les fringues, que la société apprenait à les aimer au naturel, plutôt que tout le monde cherche tout d'un coup à être "plus beau" en s'appliquant des tas de produits sur la gueule - qui sont soit dit en passant mauvais pour la santé pour la plupart - et, en ayant une énorme garde robe - fabriquée dans des conditions déplorables. 

Ca suppose non seulement de revoir nos stéréotypes de genre mais également le modèle de société dans lequel on vit.

"Tout comme un enfant ne rejette pas le cadeau fait par ses parents, les Sikhs ne rejettent pas le corps qui leur a été donné. En chouinant « c’est le mien, c’est le mien » et en changeant ce corps-outil, nous vivons dans l’ego et créons une séparation entre nous et la divinité en nous. En transcendant les vues sociétales de la beauté, je crois que je peux mieux me concentrer sur mes actions. Mon attitude, mes pensées et mes actions ont plus de valeurs que mon corps, parce que je reconnais que ce corps ne sera que cendres à la fin, alors pourquoi en faire tout un foin ? Après ma mort, personne ne se souviendra de ce à quoi je ressemblais, mes enfants ne se souviendront même plus de ma voix, et petit à petit, tout souvenir physique s’évanouira. En revanche, mon impact et mes contributions resteront – et en ne me focalisant pas sur la beauté physique, j’ai le temps de cultiver ces vertus intérieures et, avec un peu de chance, de mettre ma vie à profit pour créer du changement et du progrès. Donc, pour moi, mon visage n’est pas important – mais le sourire et le bonheur qui se cachent derrière, si !" Pour en savoir plus.

Commentaires

  1. Tu as tout à fais exprimé ma façon de penser ! Personnellement je ne me maquille que lorsque je suis invitée à un mariage/baptême,.. ou alors quand je travaille, histoire de faire plus réveillée en fait. Et encore, je ne met que du fond de teint sur quelques imperfections et du crayon noir (parfois du rouge à lèvre, mais très rarement).
    Je sors toujours en jean et en sweat, que ça plaise ou non, moi je me sens bien dedans et c'est l'essentiel. Si je ressemble à un sac à patate tampis, je suis un sac à patate confortablement habillée!

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    1. Tu as tout dit, le confort devient de plus en plus primordial dans mon choix de vêtements le matin... Il y a peu alors que j'étais confortablement installée dans mon pyjama en pilou, je me suis même demandée pourquoi on s'habillait ! Mais heureusement c'est ce que je dis dans mon article, il y a une tendance à "l'uniformisation" de la mode et aujourd'hui une fille en sweat ça ne choque plus grand monde et heureusement !

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  2. Je suis entièrement d'accord ! De plus en plus je laisse tomber le maquillage le week-end lorsque je n'ai pas d'évènement particulier, et quel plaisir de ne pas avoir à se démaquiller le soir :)
    Et je trouve également que cette histoire de "beauté" est très relative, particulièrement quand je vois tout ce business du régime. Être bien dans sa peau, en forme et avoi confiance en soi je dis oui à 100% mais suivre la mode sans raison bof bof. Le problème c'est que la limite est parfois mince et la naissance des complexes aisée.

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    1. Alors là, je suis TELLEMENT d'accord avec toi pour le démaquillage du soir qui me gonfle tellement ! Quel plaisir quand je ne suis pas maquillée de sauter cette étape !
      On fait tout pour que les femmes aient plein de complexes et que du coup on passe notre temps à y penser et à tout faire (ACHETER des tas de trucs notamment) pour les enlever ... J'avais écrit un peu à ce propos dans d'autres articles.

      http://madamecitron.blogspot.fr/2015/07/systeme-patriarcal.html
      http://madamecitron.blogspot.fr/2013/10/mon-feminisme.html
      http://madamecitron.blogspot.fr/2015/01/changer-de-regard.html

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  3. Mais, si tu lui lèches les aisselles à la nana, ta langue devient-elle bleue?
    Moi en tout cas, c'est quand elle veut.

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  4. Vraiment très intéressant, et je suis tout à fait d'accord avec toi! Il faudrait vraiment diffuser ce genre de discours, je suis sûre que beaucoup de femmes s'interrogent de la même façon, mais n'osent pas exprimer leur opinion à haute voix tant la pression sociétale demeure forte.
    Julia

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    1. Merci beaucoup de ce commentaire ! Ca me fait plaisir si des gens peuvent se reconnaître dans mes propos !

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  5. Je réfléchis beaucoup à ça aussi en ce moment ! Merci pour cet article. Je n'ose pas sortir avec mes poils... J'ai appris à les aimer à nouveau depuis quelques mois (et ça ne choque pas mon copain). Ce qui m'a choqué c'est quand ma sœur de 9 ans m'a dit qu'elle n'aimait pas se mettre en t-shirt parce qu'elle avait beaucoup de poils sur les bras, que c'était moche et que les autres enfants se moquaient d'elle... A 9 ans, ils sont déjà tous très imprégnés des dictats de beauté et ça me rend triste.

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    1. C'est dur et long pour beaucoup de femmes d'apprendre à aimer son corps je pense... J'ai écrit cet article mais ça reste aussi très compliqué pour moi de sortir en été en jupe sans me raser les jambes! Une copine m'a dit exactement la même chose après avoir lu l'article concernant ses nièces de 7 et 8 ans qui lui ont tenu à peu près le même discours. Très jeunes, ils ont imprimé tout ça, mais la bonne nouvelle c'est qu'on est aussi quelques uns à avoir conscience de tout ça et donc à notre échelle on pourra peut-être un peu changer les choses !

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