Avocate nantie


J'avais fait cet article il y a 5 ans. Puis cet autre, il y a 3 ans. Depuis, j'ai commencé à écrire des dizaines d'articles que j'ai laissés se perdre dans les brouillons de ce blog.

J'ai voulu faire des articles bilan sur mes 6 mois d'avocate, sur mes 1 an, mes 2 ans. Le temps a filé. J'ai toujours eu peur de trop en dire, ou de ne pas en dire assez. Avec toujours dans le fond cette volonté de garder un peu d'anonymat.

Mais aujourd'hui ça me démange. J'ai envie / besoin d'écrire sur ma profession. Pour défoncer un peu les clichés. Pour donner une autre image.

Parce que je me suis rendue compte de quelque chose : quand on me demande ce que je fais dans la vie, souvent je rechigne à le dire clairement. Non pas que j'ai honte de cette profession, mais quand j'annonce que je suis avocate, le regard des gens sur moi devient différent. Il y a cette image d'avocat nanti, avocat friqué, qui nous colle à la peau. Socialement, c'est une profession qui envoie du pâté, les parents sont fiers de dire que leur enfant est avocat, c'est synonyme de réussite.

Je dis très souvent qu'avocat est la profession la plus sur-côté socialement. Je le pense plus que jamais. 

Avocat.e, pour beaucoup d'entre vous ça signifie - dans le désordre : tout plein d'études, être riche, un avocat c'est cher, savoir faire du théâtre, porter un déguisement un peu étrange, connaître le droit (toutes ses branches) PAR COEUR.
Beaucoup font aussi une (mauvaise) distinction entre avocats commis d'office et les avocats très chers qu'il faut payer un bras. La plupart des gens ne comprennent pas pourquoi l'avocat envoie son "assistant" à l'audience.

Ça reste une profession un peu mystérieuse, un peu obscur, que personne ne comprend réellement. Tantôt on entend que "de façon un avocat ça sert à rien", tantôt on encense les ténors du Barreau. 

Alors on va défoncer tout ça ensemble. 

Tout plein d'études

Oui. Pour devenir avocat, il faut - a minima - un master 1 (donc 4 ans de droit à la fac) et 2 ans dans une école d'avocats donc au minimum 6 ans d'études. Tu peux donc être avocat potentiellement à 24 ans. Ça c'est de la théorie. En pratique, la plupart des avocats ont un Master 2 (soit 5 ans d'études) et certains n'ont pas le concours d'entrée à l'école du premier coup, certains travaillent entre deux, certains redoublent (pendant les 5 ans d'études). J'ai moi-même commencé en tant qu'avocate à 27 ans, après avoir redoublé ma première année de droit et après avoir travaillé pendant un an avant de passer le concours d'entrée à l'école des avocats. J'ai donc un bac +7. Et j'ai passé 9 ans sur les bancs de la fac. Oui c'était long.

Donc non on ne devient pas avocat du jour au lendemain.



Etre riche

J'ai tellement de choses à dire là-dessus. Tous les avocats ne sont pas riches. Loin de là. Je vais même aller plus loin : l'intégralité des avocats que je connais ne sont pas riches. Certains avocats (ceux que vous voyez dans les médias) gagnent sans doute des centaines de milliers (des millions peut-être) d'euros, mais ils sont une minorité.

D'autres avocats gagnent l'équivalent d'un SMIC.

C'est une profession avec d'énormes disparités en fait. J'étais en train de me demander avec quelle profession je pouvais faire un parallèle pour que vous compreniez. Peut-être les professions artistiques ou sportives. Vous voyez les salaires des Neymar, Mbappé dans les médias, mais vous vous doutez bien que le petit joueur de foot professionnel qui évolue dans une équipe moyenne ne gagne pas des millions. De la même façon, il y a de marge entre les revenus d'un Brad Pitt et les revenus d'un comédien de téléfilm de France 3 par exemple. Et pourtant ce sont les mêmes métiers.
C'est pareil chez nous.

Vous avez compris. Il n'y a aucun rapport entre un Eric Dupont Moretti (pour citer le plus connu d'entre nous) et moi (sur bien des points).

Arrêtez de nous dire qu'on est riches, c'est fatigant.

Et surtout, et c'est là que ça devient important : notre revenu c'est vous en fait. Je ne vous considère pas comme des dollars sur pattes, mais notre source de revenus ce sont nos clients. Comme toutes les professions libérales en fait. Le boulanger qui n'a pas de client ne fera jamais fortune.

Considérer qu'on est riches parce que c'est "comme ça" ça n'a pas de sens. Nos revenus dépendent de nos clients, de vous en fait. C'est vous qui nous payez. J'ai déjà entendu "ça va pas besoin de le payer, il est avocat, il est riche". Bah non en fait. Si vous ne nous payez pas, on n'a pas de revenus. Zéro.

J'aimerais bien faire mon métier gratos, vraiment. Mais j'ai aussi besoin de vivre et comme tout le monde j'ai besoin de revenus. C'est vous ma source de revenus. Et je ne peux pas faire les choses gratuitement juste par "gentillesse", c'est mon travail en fait. J'ai horreur de cette expression mais "le temps c'est de l'argent". Le temps que je passe à vous envoyer un mail, à vous avoir au téléphone, c'est du temps de travail. Je ne peux pas passer mes journées à donner des conseils gratuitement sans rémunération.

Il existe - pour les personnes à faibles revenus - l'aide juridictionnelle. L'aide juridictionnelle c'est ce qui vous permet de ne pas payer vos frais d'avocat quand vous avez des petits revenus ou que vous n'en avez pas. Quand une personne bénéficie de l'aide juridictionnelle c'est l'Etat qui prend en charge les frais d'avocat. L'aide juridictionnelle ne fonctionne que quand il y a une procédure à mettre en oeuvre, c'est à dire que vous devez aller devant une juridiction.

Quand vous appelez un avocat au téléphone pour avoir un rendez-vous, il s'agit en premier lieu d'une consultation. L'avocat ne peut pas savoir s'il y aura une procédure (et sauf cas exceptionnels, vous non plus vous ne savez pas). Parfois des conseils sont suffisants et oui l'heure que l'avocat a passé avec vous à vous expliquer comment sortir d'une situation difficile, oui elle vous sera facturé. Même quand il vous dit qu'il n'y a pas de solutions à votre problème. C'est notre travail en fait. On fait des années d'études pour vous conseiller au mieux (cf paragraphe ci dessus). Quand vous allez chez le médecin et que celui-ci vous dit pour X raisons qu'il ne peut pas vous soigner, vous le payez quand même ? C'est la même chose.

Et l'aide juridictionnelle n'est malheureusement pas suffisamment rémunératrice pour certains avocats. De fait, certains avocats ne travaillent pas à l'aide juridictionnelle. Ce qui est dommage pour vous, je suis bien d'accord. Mais pour certains domaines, accepter l'aide juridictionnelle c'est travailler à perte pour un avocat.

Je vais prendre des exemples qui parlent à tout le monde. Pour un divorce par consentement mutuel, l'avocat à l'aide juridictionnelle sera rémunéré 768 euros. Si vous avez un litige avec votre employeur et que vous devez aller aux Prud'Hommes, ce sera rémunéré 960 euros. Si vous commettez un délit (vous volez une voiture, vous  avez commis des violences...) et que vous passez devant le tribunal correctionnel, votre avocat sera rémunéré 256 euros pour vous assister.

Vu comme ça, ça ne parait pas si mal. Sauf qu'en réalité, les dossiers demandent plus ou moins de boulot. Vous pouvez y passer 4h-5h comme vous pouvez y passer 15h-20h-30h... Alors vous allez me dire que ça reste de jolies sommes.  Mais il faut prendre en compte deux choses importantes.

Premièrement, on va finir par être payé à l'aide juridictionnelle mais souvent plusieurs semaines / mois après. Les délais peuvent être très très longs. Vous en connaissez beaucoup des professions où les gens acceptent de travailler en sachant qu'ils seront payés plusieurs mois après avoir effectué le job ?

Deuxièmement, il y a un facteur hyper important à prendre en compte : LES CHARGES.

Le voilà le gros mot et ce qui est TRES SOUVENT incompris par la plupart des gens.

Je pense que vous l'avez pigé, notre source de revenus c'est vous. Mon "salaire" c'est ce que vous allez me verser. Mais vous qui êtes salarié, vous touchez l'intégralité de votre salaire ? Non il y a la différence entre salaire brut et salaire net. Et bien nous c'est la même chose. Ce que vous allez me verser c'est du brut. Je vais déclarer ce que vous me versez à différents organismes qui vont ensuite venir me demander des sous. Ainsi je cotise pour les retraites, les allocations familiales, la CSG et autres joyeusetés. Je paye aussi de la TVA sur ce que vous me versez. Ainsi si un client me verse 1000 euros, je ne mets dans ma poche qu'environ 600 euros, les 400 euros restants vont partir à divers organismes, vont payer la location d'un bureau, mon matériel etc etc...

Donc comptez que si je veux gagner à peu près 2000 euros net par mois, je dois "rentrer" 3333 euros par mois, 4000 euros si je veux être prévoyante. Mes clients doivent me verser 3333 euros par mois.

Non les avocats ne sont pas des nantis, non nous ne roulons pas sur l'or.

Si un jour cette image pouvait arrêter de nous coller à la peau, ce serait formidable.



Savoir faire du théâtre

En trois ans d'expérience, je n'ai jamais eu l'impression de faire du théâtre. Jamais. Il m'est arrivé de mentir. Il m'est arrivé de soutenir des choses un peu absurdes. Il m'est arrivé d'en rajouter. Mais je n'ai jamais eu l'impression de jouer un rôle. Parce que ce n'est pas un rôle en réalité. C'est mon métier. C'est un peu pompeux dit comme ça. Quand je plaide, quand je défends les gens, quand je les reçois, quand j'envoie des mails, quand je rédige des courriers, je ne joue pas un rôle, c'est juste mon métier.
Et aujourd'hui ce métier, que j'adore et que je déteste, il fait partie de moi en réalité (c'est un peu niais je vous l'accorde).

Souvent vous en voyez la partie émergée de l'iceberg : la plaidoirie. C'est ça que vous assimilez à du théâtre avec l'idée derrière qu'il suffit de se pointer et de parler fort pour que ça fonctionne. Vous la voyez comme ce que vous avez pu voir à la télé : grandiloquente. Notre quotidien en est loin.

Premièrement tous les avocats ne plaident pas. Certains donnent juste des conseils, vous ne les verrez pas dans un palais de justice.

Deuxièmement, certains domaines du droit ne nécessitent pas de plaidoiries, les procédures sont écrites.

Troisièmement, désolée de vous décevoir mais même dans les domaines où la procédure orale - et où donc la plaidoirie est importante - les plaidoiries ne sont pas toujours grandiloquentes, parce qu'il n'y a pas de raisons qu'elles le soient.

Il ne suffit pas de se pointer à l'audience, de parler fort et de dire deux-trois trucs sympas pour plaider. Vous ne voyez pas les heures à lire, comprendre et éplucher votre dossier. Parfois vous pouvez penser que l'avocat n'a pas dit grand chose. Derrière, il peut y avoir des heures de rédaction et l'avocat à l'audience ne choisit d'en dire qu'une partie. Parfois, il faut accepter que oui il n'y a juste rien à dire dans votre dossier - ou pas grand chose. Pour en arriver à cette conclusion, l'avocat y a quand même passé du temps. Pour arriver au fait qu'il n'y a rien ou pas grand chose à dire, il faut quand même étudier le dossier en profondeur.

Ne réduisez pas notre profession aux quelques minutes de plaidoirie que vous voyez.

Notre costume : la robe d'avocat

La robe, la fameuse. Celle que tout avocat est tellement fier de porter au début. Encore maintenant, trois ans après (c'est rien me direz-vous) j'en suis fière je crois. Je n'ai plus cette petite émotion que je ressentais pour mes premières plaidoiries mais quand je la porte, je me sens une autre un peu. Je me sens plus sûre de moi.

C'est un usage d'un ancien temps. Ça fait Harry Potter, chauve-souris, tout ce que vous voulez, je vous l'accorde. C'est étrange de porter un costume me direz-vous. Je suis entièrement d'accord avec vous. Mais outre son histoire et sa symbolique, je suis aujourd'hui assez fortement attachée à ma robe. Elle me protège. Ma robe c'est mon armure. Quand je la porte, je peux tout dire ou presque. Je peux être en colère, je peux m'énerver. Quand je porte ma robe, je suis avocate. Je ne suis plus la personne que je suis "au civil". Je suis là pour la défense du client et rien d'autre. C'est à ça qu'elle sert ma robe. Je comprends que ce soit dérangeant, perturbant. Ça peut même mettre une distance avec les justiciables. J'entends cette critique. Mais elle est indispensable pour moi aujourd'hui.



Connaitre tout le droit par cœur

Non, définitivement non.

Les études de droit ne consistent pas à apprendre le code civil par cœur. Loin de là. Les études de droit permettent d'apprendre des mécanismes, des réflexes, d'avoir quelques bases dans certains domaines, apprendre le fonctionnement des juridictions, des procédures etc. On apprend rien par cœur en réalité. Pour info, il existe environ 70 codes donc c'est tout bonnement impossible de tout apprendre par cœur. (En plus, TOUT le droit n'est pas contenu dans les codes, mais ça va être compliqué d'expliquer.)

Les avocats étant d'anciens étudiants en droit, ils ne connaissent pas tout le droit par cœur.
C'est pour ça que certains avocats exercent dans certains domaines. Comme les médecins. Un neurologue n'est pas un gynécologue. C'est normal que votre avocat ne soit pas compétent pour tout ! Certains avocats, dans ce qu'on appelle les "petits Barreaux" (dans les "petites villes") sont plus généralistes, parce qu'ils ne sont pas nombreux et que leur clientèle demande cela.

En réalité ce qu'il faut retenir c'est qu'il existe autant de domaines d'activité, de façons d'exercer que d'avocats.

Avocats commis d'office VS Avocats qu'on paye très cher et qui sont forcément plus compétents

GROSSE ERREUR.

Alors on va mettre au clair certaines distinctions.

La distinction est à faire en réalité entre avocat commis d'office et avocat choisi.

Avocat commis d'office = vous avez besoin d'un avocat, vous n'en connaissez pas, vous en voulez un, vous pouvez vous rapprocher de l'Ordre des Avocats et vous aurez un avocat commis d'office.
Avocat choisi = vous connaissez un avocat, vous le désignez pour telle procédure.

Un avocat commis d'office ne signifie pas que vous ne le paierez pas. Si vous avez les moyens de le payer, vous le paierez. Si vous n'avez pas les moyens, vous pourrez bénéficier de l'aide juridictionnelle (cf ce que j'ai raconté au dessus sur l'aide juridictionnelle).
Comme pour un avocat choisi en fait : pour lancer une procédure juridique, si vous avez des revenus suffisants vous le payez , si vous n'en avez pas vous ne le paierez pas.

Après, dans certaines matières l'avocat est obligatoire donc vous aurez systématiquement un avocat qu'il soit choisi ou commis d'office.

Etre commis d'office ne signifie pas être incompétent.

Comme ne pas payer son avocat ne signifie pas qu'il est incompétent.

N'importe quel avocat peut être commis d'office.

Après il y a tout un système de permanence (donc où vous êtes commis d'office) selon les domaines dans lesquels vous exercez etc mais ce ne serait pas très intéressant de vous expliquer ça.

En revanche, gardez bien en tête qu'être commis d'office ne signifie pas être incompétent. Et ce n'est pas parce que vous ne payez pas votre avocat qu'il sera incompétent. L'inverse est vrai aussi, ce n'est pas non plus parce que vous le payez qu'il sera plus compétent que les autres. A titre perso, parfois je suis commise d'office, je prends l'aide juridictionnelle pour ceux qui n'ont pas ou peu de revenus, je me fais aussi payer par d'autres clients. Il n'y a pas de règles et croyez-le ou non je mets le même entrain à défendre les personnes qui m'ont payées que celles qui ne payent rien.



"Mon avocat m'a envoyé son assistante à l'audience !"

SCANDALE !

Vous n'imaginez pas le nombre de fois que j'ai pu entendre cette phrase en plusieurs années de collaboration. Alors on va revenir sur un statut particulier pour que vous compreniez le truc : l'avocat collaborateur. Le statut d'avocat collaborateur est un statut (merdique) qui consiste à bosser à la fois pour soi (comme toutes les professions libérales) mais aussi pour un autre avocat.

C'est comme si vous étiez boulanger, que vous travailliez dans une boulangerie pour un autre boulanger, avec la possibilité de fabriquer votre propre pain et le vendre dans la même boutique.
(Est ce que c'est compréhensible ?)

C'est ce qui explique que parfois à l'audience vous voyez arriver un autre avocat que celui que vous avez vu en rendez-vous. Je comprends que ça puisse être très déroutant, perturbant et qu'on puisse ne pas faire confiance mais par pitié gardez vos remarques déçues (et souvent méprisantes) pour vous. Si c'est l'avocat collaborateur qui se pointe, cela signifie très probablement que l'avocat que vous avez rencontré en rendez-vous n'a jamais bossé sur votre dossier, que c'est l'avocat collaborateur qui a tout fait et qui connaît votre situation bien mieux que vous ne le pensez.

En fait, certains cabinets d'avocats fonctionnent en équipe. Il peut y avoir plusieurs avocats, plusieurs secrétaires juridiques et parfois des juristes. La plupart des gens ne se rendent pas compte à quel point ça peut être une équipe un cabinet d'avocats (en même temps personne ne vous l'explique).
Et je sais que vous ne connaissez pas le vocabulaire et que vous ne pensez pas à mal mais les avocats collaborateurs ne sont pas des assistants. On est avocat, point.


Petit point actu : cet article est parsemé d'images de nos grèves. Cela fait deux semaines que nous sommes en grève contre la réforme des retraites. Nos cotisations passeraient de 14% à 28% pour une baisse de nos pensions de retraite, ce qui signifierait que de nombreux petits cabinets - dont je fais partie - mettrait la clé sous la porte. Pour plus d'infos, je vous invite à vous renseigner via les medias et je reste dispo par commentaires ou autre si besoin.

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