Bon.

J'ai toujours aimé les bilans. J'ai toujours aimé en faire sur tout un tas de sujets très différents. 

Depuis quelques années je fais des bilans livres. Il y a certaines autres années où je faisais des bilans d'année.

Cette année, très clairement on n'a pas envie de faire de bilan. Et pourtant on s'en souviendra toute notre vie de cette année. Alors, parce que c'est important de se souvenir, que le souvenir tient une place très importante dans ma vie depuis que je suis en âge de comprendre ce que c'est, je vais tenter de faire un bilan de cette année chaotique.

Je sais que tout ne va pas s'arrêter au 1er janvier, je sais que le covid s'en fiche royalement de savoir si nous sommes en 2020 ou en 2021. Mais je suis comme tout le monde, j'en ai ras le cul de cette foutue année et psychologiquement de se dire qu'elle sera bientôt derrière nous, ça fait du bien. 

Quand j'y repense, j'ai eu l'impression d'avoir retenu mon souffle toute l'année. J'ai l'impression que 2020 a été une année en apnée, à enchaîner les coups, à tenter d'esquiver les uppercuts. 

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Cet été, je m'en suis pris un beau d'uppercut et en pleine face, sans que je puisse l'anticiper ou l'esquiver.  Un soir d'août, on a fait la fête dans la maison d'un copain qu'il venait d'acheter, on a bu, on a dansé jusque 4h du matin. Il faisait beau et chaud. On a beaucoup ri. Le lendemain, on avait la gueule de bois, on est allé manger au restaurant avec des copains, on était une tablée de 8. J'ai mangé du canard. J'adore le canard. On m'a offert des cadeaux d'anniversaire avec plusieurs mois de retard, à cause de ce foutu confinement. Ensuite on a grignoté des gâteaux dans la petite cour prêtée par le voisin. Le soir, il y avait un match de foot. On prenait l'apéro, toujours avec les copains. J'ai vu cet appel. J'ai pas répondu sur le coup, j'étais avec les copains, je rappellerais plus tard. "Tu peux me rappeler stp c'est urgent ?". Tiens c'est bizarre quand même. Je vais rappeler. 

Ce jour-là, j'ai perdu l'un de mes meilleurs amis. Un de ses amis que vous connaissez depuis 15 ans, dont vous avez l'impression qu'il fait partie de votre vie depuis toujours. Ca a été sans conteste, la chose la plus dure que j'ai eu à affronter de toute ma vie. Oui je sais, j'étais privilégiée, je n'avais pas réellement vécu de drame dans ma vie. 

Il n'y a rien de logique, rien de normal à perdre un ami à 31 ans. Je savais bien que ça finirait par arriver un jour. Mais pas à 31 ans. Nous sommes dans les âges où nous construisons notre vie, pas dans les âges où elles s'arrêtent. Je sais que c'est bête de penser ça. Comme s'il y avait un âge pour mourir. Des pensées bêtes, j'en ai eu des milliers cette année par rapport à ce décès. J'ai été en colère, j'ai été triste, je n'ai pas compris. Je ne comprends toujours pas. Mais j'ai avancé. Parce qu'il le faut. Pas pour lui. Pas parce qu'il est "toujours là" quelque part. Ces pensées ne m'apaisent pas particulièrement. J'ai avancé parce que je n'ai pas eu le choix de faire autrement. C'est quoi l'autre alternative ? Sombrer ? Se suicider ? Je n'ai pas envie de mourir. Alors j'avance. J'ai découvert la résilience. Ce truc un peu flou qu'on voit débarquer partout sur les réseaux sociaux au moindre événement un peu tragique. Ca a pris tout son sens dans ce cas. C'est fou cette capacité à reprendre le dessus quoi qu'il arrive, cette espèce d'instinct de survie qui fait qu'un matin tu arrives à rire de nouveau de bon cœur, qui fait en sorte que tu penses un peu moins à tout ça, alors qu'au début tu te disais que jamais tu n'arriverais plus à penser à autre chose. Ta vie reprend. J'ai bien conscience que c'est plus facile pour moi. Il n'était pas mon quotidien. J'imagine que pour les personnes qui le voyaient tous les jours, ou qui avaient des contacts très réguliers avec lui, ça ne veut rien dire ce que je raconte. 



Cantal - Juillet 2020


Mon monde a changé ce jour-là. Il ne s'est pas arrêté de tourner, mais il tourne différemment. Je suis devenue encore plus cynique, encore plus défaitiste, encore plus pessimiste. Encore plus adulte ? C'est comme si j'avais perdu encore plus cette insouciance de l'adolescence. J'ai l'impression que cette insouciance s'est effritée au fur et à mesure du temps depuis 10 ans et que cet événement a été le dernier coup de massue. Ma vie est moins légère. 

Evidemment la crise du covid n'a pas aidé, mais j'y reviendrais. 

Parfois, je repense aux drames qui sont arrivées dans la vie des autres depuis 15 ans, à tous ces drames où je n'ai pas su être là, où je n'ai pas été une bonne amie. Parce que je manque souvent d'empathie et que je ne sais pas faire avec la tristesse des gens, mais aussi parce que j'étais jeune et insouciante, que ma vie était à mille lieux de ces tragédies. Ca me rend triste de me dire que je n'ai sans doute pas été à la hauteur. 

Je ne vais pas dire qu'il y a du positif à tirer de tout ça, ce serait parfaitement indécent et de toutes façons faux. Il n'y a rien qui peut être positif dans tout ça. La seule chose que je garderais dirons-nous, c'est qu'on s'est rapprochée avec certaines amies. On a toutes pris conscience de l'importance de se donner des nouvelles, de garder un lien. Parce que si on se connaît depuis 15 ans et qu'on a réussi à rester aussi proches ce n'est pas pour rien, nous devons cultiver ce truc qui nous unit. Même si honnêtement je ne sais pas bien ce que c'est, j'ai l'impression qu'on est toutes très différentes. En écrivant ça, je me dis que je n'ai pas suffisamment donné de nouvelles à truc et pas assez appelé bidule. La vie file trop vite. 

En août, on s'est toute appelé, on s'est toute envoyé des messages, on s'est toute prise dans les bras quand on a pu (et fuck le covid), on a ri en se souvenant de lui, on a pleuré, on s'est envoyé mille messages, on a usé et abusé des emoji cœur. On s'est soutenu. Sincèrement et spontanément. Je le disais déjà bien avant 2020, mais j'ai la certitude bien ancrée que quoi qu'il nous arrive, on est là les unes pour les autres. Même sans se donner de nouvelles pendant des plombes, même quand on s'énerve, même quand on se prend la tête (on n'est pas dans un monde de licornes et de paillettes parfois on s'engueule). J'ai la certitude que si demain je les appelle, elles sauront être là et me soutenir. Je sais qu'on ne sait pas ce qu'il va se passer et que ça se trouve dans 6 mois ou dans 30 ans, on ne s'entendra plus, mais j'ai ce truc quand même en moi qui me fait dire que si on a réussi à tenir les 15 dernières années, on peut tenir les suivantes. C'est d'un réconfort, vous n'imaginez même pas. Et puis il y a une personne en particulier qui a fait son entrée dans nos vies, qui était déjà là mais qu'on apprend à connaître, toujours plus, encore mieux et avec laquelle nous avons un lien spécial. Le genre de présence qui réchauffe le cœur. 

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Cette année, on a essayé de concevoir un autre être humain avec mon compagnon. ca aurait pu être quelque chose de chouette, quelque chose qui donne de l'espoir, qui rend heureux. Ca n'a pas fonctionné. Comme si la vie refusait que quelque chose de joyeux arrive cette année. C'est un sujet douloureux pour moi donc ça va être compliqué de m'exprimer ici. Et pourtant je suis la première à parler de sujets intimes. Je viens de le faire en écrivant sur la mort de mon ami. J'ai des milliers de choses à dire sur la procréation, sur mon rapport à tout ça, mon rapport au corps, sur toutes les questions que je me suis posée, sur le rapport entre procréation et féminisme, sur comment ça bouscule ton couple, ta sexualité, tes croyances, comment ça te chamboule le cœur, le corps et l'esprit. Sur comment c'est complètement taré de vouloir des enfants dans ce monde de barges.  J'ai commencé à écrire des milliers de trucs là-dessus, mais le problème c'est que ça touche à mon intimité et à celle de mon couple. J'ai écouté des dizaines (centaines ?) de podcast, lu des dizaines (centaines ?) d'articles sur tout ça. Pour tenter d'y trouver un peu d'apaisement. Le seul vrai réconfort dans tout ça finalement vous savez ce que c'est ? Mon couple. Ces sujets-là, ça peut briser un couple. Il faut communiquer, s'exprimer, parler de ses émotions, de ce qu'on ressent. Et purée, c'est si dur parfois. Je me suis toujours demandée pourquoi c'était mille fois plus facile de se mettre à nu au sens premier du terme devant quelqu'un, que de se mettre à nu émotionnellement. On a peur de parler avec des gens avec lesquels on partage une intimité sexuelle. C'est fou. On en sort grandi de tout ça lui et moi, heureux d'être ensemble et de s'aimer. Ce n'est pas donné à tout le monde. 

Folkestone - Janvier 2020


Je sais ce que vous vous dites. Tout le monde a toujours son avis sur l'utérus des femmes et sur la façon de concevoir des enfants. Je suis trop comme ci, trop comme ça, elle y pense trop, pas assez, etc. Arrêtez. Stop. Gardez vos conseils pour vous. Ecoutez les femmes. Ecoutez les couples qui n'arrivent pas à concevoir. Tous vous diront que ces phrases ne servent à rien et font mal au cœur. Mais je sais. Je sais que vous ne pouvez sans doute pas comprendre. Soit vous avec voulu des enfants et c'est arrivé relativement "facilement". Soit vous n'êtes pas du tout dans un projet d'enfant. Vous ne pouvez pas comprendre. Qu'est ce qu'un couple qui vient d'avoir un enfant, qui a son bébé dans les bras, comprend de tout ça ? Je ne vous demande pas de comprendre ou de vous mettre à notre place. Je vous demande juste d'être délicat. Je vous demande juste de faire attention. D'être empathique en somme. Beaucoup de gens ne le sont pas. 

Je ne rentrerais pas dans les détails de tout ça, c'est notre intimité. Il y a des centaines de femmes (et peu d'hommes) qui tiennent des blogs, des comptes instagram, des podcast qui parlent de tout ça. 

Ce que j'en retire personnellement par rapport à ce bilan 2020, c'est que c'est encore un poids à porter sur cette année. Ca a fait partie des choses qui ont rendu cette année encore plus lourde. Comme ce sujet va encore très probablement faire partie de ma vie en 2021, je crois que si je le dis ici, c'est que j'aimerais que le sujet soit un peu plus léger. L'écrire ici, ça rend le sujet moins tabou, moins lourd à porter, moins dramatique. Le reste du monde est déjà suffisamment dramatique comme ça, il n'y a pas besoin que ce sujet le soit aussi. 

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Attaquons le professionnel. C'est ce qui a fait partie du pire et du meilleur de cette année 2020. J'ai l'impression d'une grosse montagne à gravir pour vous en parler. 

Je suis avocate. En 2020, j'ai quitté ma collaboration (en gros je bossais pour un autre cabinet d'avocat) qui ne me convenait plus pour tout un tas de raisons, pour m'installer seule. Je n'avais pas une grosse clientèle mais je n'en pouvais plus de la collaboration. Je me suis beaucoup demandée si j'étais épuisée à cause de la collaboration (ce statut si merdique, les collab savent !) ou si c'est la profession qui ne me convenait plus. Je me suis dit qu'avant de tout arrêter, il fallait que je goute à l'essence de cette profession libérale : me lancer seule dans le grand bain. Bingo, j'ai commencé l'année par la grève des avocats (uppercut) puis j'ai enchaîné avec le covid (double uppercut). Ca a été une riche idée de s'installer cette année ! On peut dire que j'ai eu du flair !

La vérité ? Je ne regrette pas du tout d'avoir arrêté la collab et quand parfois dans des moments de détresse je chouine sur le fait que je n'ai pas de revenus fixes, il y a toujours quelqu'un pour me rappeler comment ma collab se passait. C'est assez radical en général. 

Chenonceau - Juillet 2020 


Cette année a été une année très compliquée (sur de nombreux plans vous l'aurez compris). Parlons du sujet qui fâche. Le sujet numéro un. Le nerf de la guerre : l'argent. Parce qu'après tout, je ne vois pas pourquoi ce serait tabou, je ne vois pas pourquoi je devrais cacher mes revenus. J'ai eu des bons mois en 2020, d'autres nettement moins bons. La crise du covid est passée par là. 2020 a été une moins bonne année que 2019. J'ai vu mes économies fondre en cette fin d'année. Croyez-le ou non ça fait un peu mal. Je termine l'année en me payant environ 1500 euros net par mois. Avocate nantie vous avez dit ? Tout ça devrait se réguler 2021. Mais en attendant c'est pesant et ça fait peur.

Puis il y a quand même ce truc de "merde j'ai fait 7 ans d'études pour gagner 1500 euros par mois ?".

Pendant un temps, j'ai cru avoir trouvé cet équilibre entre "je bosse suffisamment pour gagner de l'argent pour faire des trucs" et "j'ai du temps pour faire des trucs à côté, je n'ai pas besoin de bosser comme une acharnée". Le covid a un peu remis en cause tout ça. Je sais que je vais vers des jours meilleurs mais en attendant je me prends parfois à rêver de salaire net qui arrive sur mon compte, de congés payés, de RTT... De ne plus avoir cette pression sans cesse sur les épaules. Je ne suis pas naïve, je sais que quand on est salarié, il y a d'autres pressions, d'autres problèmes. Mais avec des garanties importantes : des congés-payés, des assurances maladie, le chômage en cas de perte d'emploi. Vous n'imaginez même pas comment ça me parait être le saint graal le chômage.  

L'autre problème, ce sont les gens. Je ne déconne pas. Dans mon ancien cabinet, il y avait des filtres entre les gens et moi, des assistantes juridiques qui prennent les appels, gèrent les dossiers, gèrent l'administratif. Alors elles ne géraient pas mes dossiers évidemment mais au moins pour ceux du cabinet pour lequel je bossais, j'avais ce filtre. Là, je suis sans aide. Je suis assistante juridique, comptable, avocate, juriste, boss de moi-même. Et mon dieu que ça m'épuise. Avoir toutes ces casquettes m'épuise. 

Aix Les Bains - Juillet 2020


Et les gens sont cons. Vraiment. Vous êtes cons. Vous êtes exigeants. Vous appelez 10 fois par jour. Vous ne comprenez pas qu'on ne réponde pas. Vous ne comprenez pas pourquoi on veut être payé. Vous refusez de nous payer. Vous êtes imbus de vous-même. Vous passez votre temps à essayer de tout négocier. Vous m'épuisez. Tous les jours un petit peu plus, je me sens usée par vous. Et encore, j'exerce dans un domaine (j'y reviendrais) où les gens ne sont pas les pires je pense. Beaucoup de consœurs et confrères dans tous les domaines, sont du même avis que moi. Le pire c'est que la crise du covid n'a pas aidé. Elle vous (nous) a rendu encore plus tendus, encore plus énervés et énervants. 

Je fais du droit des étrangers, c'est un domaine ingrat et peu rémunérateur. Les dossiers en droit des étrangers demandent du temps et de l'investissement pour finalement très peu de succès et peu d'argent à la clé. Peu de succès parce que notre adversaire principal est l'administration, l'Etat, et que c'est une grosse machine très bien huilée dont le but n'est clairement pas d'accueillir les étrangers sur le sol français. Disons le, nous ne gagnons pas souvent nos dossiers. Les étrangers étant bien souvent des personnes précaires avec peu de moyens financiers, nous travaillons souvent à l'aide juridictionnelle (c'est l'Etat qui nous paie, en gros), nous ne sommes pas payés grand chose, alors que humainement et juridiquement l'investissement peut être très fort. Et même quand je facture certains clients, c'est souvent à reculons. De manière globale, dans tous les domaines du droit, beaucoup de consœurs ont du mal à facturer parce qu'elles ne se sentent pas légitimes à le faire (coucou syndrome de l'imposteur). Moi j'ai du mal à facturer parce que je ne me sens pas légitime à le faire (même si ça s'arrange avec le temps) mais aussi parce qu'il est toujours très compliqué pour moi de facturer des gens précaires. 

Il en ressort de tout ça une énorme frustration. J'aime mon métier je crois, mais je voudrais le faire gratuitement (coucou le revenu de base!). Dans un monde idéal, je voudrais le faire à mi-temps, pour me laisser le temps de faire mille choses à côté et je voudrais des gens autour de moi qui m'aident à gérer tout le côté relation client, communication, facturation etc. Dans un monde idéal. 

En attendant, j'ai plus l'impression que tout cela est très absurde. Beaucoup de gens me disent que je suis utile, que mon métier a du sens. Moi j'ai de moins en moins l'impression. J'ai souvent la désagréable sensation de n'être là que pour "faire beau", de plaider dans le vide, de n'être écouté par personne et juste pour donner l'illusion que nous sommes dans un pays de droits et que les droits de la défense sont respectés, alors que dans le fond on s'en cogne pas mal de ce que l'avocat peut raconter. En droit des étrangers, je suis toujours ébahie de voir l'acharnement de l'administration à renvoyer dans leur pays d'origine des gens qui manifestement n'ont aucune envie d'y retourner et qui de toutes façons reviendront en France quoi qu'il arrive. On dépense un fric monstrueux pour renvoyer les étrangers "chez eux". Je suis le maillon d'une chaîne et d'un système que je ne cautionne pas. Ca me pose question. 

Randonnée du Mont des Cats - Septembre 2020

Et puis j'ai tous les problèmes inhérents aux indépendants : réussir à se motiver seule. C'est très compliqué pour moi. J'ai toujours envie de faire mille autres trucs plutôt que bosser. Alors je procrastine beaucoup. Je culpabilise beaucoup aussi. 

Au-delà de tout ça, je pense que s'il y a un truc à retenir (attention je vais enfoncer des portes ouvertes), c'est que le travail parfait n'existe pas. On est la génération de l'épanouissement par le travail. C'est en ça que le capitalisme a gagné. On nous a fait croire que c'est grâce au travail qu'on serait des êtres épanouis et heureux. Bullshit. On le voit bien en ce moment. Je travaille et je n'ai le droit de voir personne à côté. Je ne peux pas voir mes proches, aller dans un bar, aller au resto, au cinéma, au théâtre. Ca me manque énormément. Le travail ne rend pas heureux. Certains amis à moi considèrent le travail comme un truc qu'ils sont obligés de faire pour gagner de l'argent, ils ne cherchent pas du sens dans leur travail. Je crois que je n'ai pas encore tout a fait abandonné l'idée de faire un travail qui a du sens pour moi, mais je fais le deuil de plus en plus de ce travail parfait. 

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Toutes mes réflexions sur le travail s'accompagnent d'une réflexion anti capitaliste. 

Voilà ce que j'ai développé cette année : ma réflexion anticapitaliste. Travailler pour qui ? Pour quoi faire ? Ca a été flagrant pendant le confinement. J'ai vu mon mec se lever tôt tous les jours (il était directeur de magasins alimentaires) pour aller vendre du PQ et des pâtes à des connards qui avaient peur d'en manquer, tout ça pour un salaire correct, mais qui est bien bien en dessous du salaire des dirigeants de sa boite. Je le savais déjà mais plus que jamais ma position s'est précisée sur ces questions-là. Personne ne mérite de gagner des millions. Personne n'a besoin de plusieurs millions d'euros pour vivre. Absolument personne. En revanche, nous avons besoin d'infirmier.e.s, de médecins, d'agricultrices et d'agriculteurs, d'éboueurs.ses, de profs. Ca me paraît toujours fou de me dire qu'aujourd'hui un prof gagne moins bien que n'importe quel connard qui sort d'école de commerce et qui fait du marketing ou de la finance. 

Ce qu'il en ressort de tout ça ? 

Une très grosse colère. Beaucoup de frustration. Une envie de hurler. Une envie de sortir les fourches. 

La colère monte. Elle grandit. En moi, comme dans la population. 

Baie de Somme - Octobre 2020






J'ai plus que jamais l'impression qu'on est au bord d'un ravin. J'ai l'impression que d'un côté, on sombre dans le fascisme, dans les guerres, dans la surveillance globalisée, dans un monde dirigé par Raoult, Darmanin, Lallement et Le Pen (j'ai fait une crise d'angoisse juste en l'écrivant). D'un autre côté, il y a de plus en plus de protestation, de manifestations, de féminisme, d'anti-racisme. J'ai l'impression que deux mondes s'affrontent et que le fossé se creuse, se creuse, se creuse. 

Je retrouve cette dualité chez moi. D'un côté, je suis pleine d'idéaux anticapitalistes, écolo, féministes... De l'autre, j'achète des téléphones sur Amazon et je prends ma voiture pour aller à 2km de chez moi. Avec cette colère toujours et cette envie de hurler. De dire que bordel ce n'est pas de ma faute en fait.  Arrêtons de nous blâmer les uns les autres parce que gna gna on ne fait pas ça comme ça ou comme si. Allons chercher les vrais responsables. Sortons les fourches. 

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La colère. C'est sans doute l'émotion qui est le plus ressorti cette année. Que ce soit pour la mort de mon ami, pour nos difficultés de procréation, pour le climat sociétal. La colère. Sans réellement de moyens pour m'apaiser. 

Provins - Octobre 2020


Est ce que vais terminer par le covid ? Finissons par le plus réjouissant. En soi ce virus ne m'a pas causé de colère mais c'est plus toute la gestion catastrophique qu'il y a eu autour qui me met en colère. Me dire encore aujourd'hui que si on a du se confiner pendant des mois et des mois c'est parce qu'on n'a pas mis assez d'argent dans les hôpitaux, parce qu'on n'investit pas dans le service public hospitalier, ça me met fort en colère. Me dire qu'ils ont toujours privilégié le sauvetage de l'économie et qu'encore aujourd'hui on a le droit d'aller faire nos courses dans les grands magasins mais pas de voir nos proches ou d'aller au ciné, ça me met fort en colère. Ce qui m'agace aussi énormément c'est qu'il n'y en a pas un seul qui a été capable de dire "ok les gars, on ne sait pas ce qu'on fait, on ne sait pas où on va, on ne connaît pas ce virus, c'est inédit, donc on fait du mieux qu'on peut et on avance ensemble". J'aurais aimé que nos dirigeants aient cette humilité là. 

Je ne vais pas discourir sur le covid, des médecins, des philosophes, des économistes, des juristes, des historiens, des tenanciers de PMU... l'ont fait avant moi. Par contre ce que je sais, c'est que personne n'en ressort indemne autour de moi. J'ai l'impression que personne ne va bien, ou que tout le monde va mal, au choix. Quelqu'un que je connais a dit pendant le premier confinement : "on finira tous par mourir de tristesse". J'ai l'impression que ça n'a jamais été aussi vrai. J'ai l'impression que tout le monde a été éprouvé par cette année. Il y a eu le covid bien sûr, mais il y a surtout ce qu'il y a autour. Personnellement, je n'ai pas trop mal vécu le premier confinement. Le deuxième a été bien plus dur à supporter. Pourtant, j'ai continué à travailler, j'ai continué à voir des gens aussi (comme tout le monde je crois au final), mais je crois qu'on n'en peut plus en fait. J'ai l'impression que nous sommes tous de petites bombes prêtes à exploser. Je ne connais pas une personne de mon entourage qui va bien. 

Ca en dit long sur l'avenir et sur ce que nous réserve 2021. 

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Je suis quelqu'un de pessimiste dans la vie, j'anticipe beaucoup sur ce qui pourrait se passer de grave ou de négatif. Bref, je suis une personne anxieuse. Mais là pour une fois, on va essayer ensemble de faire la liste des choses chouettes de cette année parce que je n'ai pas envie de retenir que le négatif, parce que j'aimerais insuffler un peu de positif dans tout ça et rendre malgré tout cette année 2020 plus légère. Avant de l'enterrer définitivement, bien profond. 

Saint Nazaire - Octobre 2020


De manière globale, je retiens tous les voyages et week-end que j'ai pu faire, à droite, à gauche. Ils ont été mon oxygène dans cette année bien trop dure. Un week-end en amoureux sur la côte anglaise, à boire de la bière dans les pubs et manger du fish & chips. Les week-end chez mon beau-père qui sont de vraies respirations, notamment celui de septembre où j'ai eu l'impression de sortir un peu la tête de l'eau. La randonnée cet été dans le Cantal : la joie de se retrouver dans la nature, d'être seuls au monde, le bonheur des moments passés à 4 à boire du vin et rire jusqu'à en avoir très mal au ventre. Je serais éternellement reconnaissante d'avoir passé ces moments-là. La semaine avec les copains à côté de Tours, à visiter des châteaux et boire l'apéro, du calme et de la sérénité, c'était fort agréable. Les quelques jours à Aix à se baigner dans le lac, rire beaucoup et se liquéfier à cause de la chaleur. Le week-end dans la Somme à observer les oiseaux, un week-end très particulier et très important. Le week-end à Nantes et Saint Nazaine à rire comme des andouilles au bord de l'eau, ça m'a fait tellement de bien !

On retient que mon copain a eu son permis, oui ça a l'air anecdotique mais c'est important. Des bébés sont nés cette année et en premier lieu deux petites filles, que je n'ai pas la chance de connaître réellement (foutu covid) mais auxquelles je pense régulièrement. Une très bonne amie à moi a acheté une maison (la vie de grande!). J'oublie sans doute des choses. De manière globale, les projets de chacun.e ont tout de même continué. De manière brinquebalante et parfois avec des échecs et des déceptions, mais on a continué. 

J'ai l'impression qu'on a tous fait comme on a pu. 

J'ai l'impression de ressortir de cette année, tout cabossée. J'ai passé un temps fou cette année sur les réseaux sociaux, j'ai moins lu, j'ai moins fait de "trucs intelligents". Je me sens molle, pas réellement bien dans mes pompes. Toujours en apnée. Mais je l'ai dit plus haut, je ne vais pas sombrer, alors on fait quoi ? Et bien on avance comme on peut. On reste indulgent envers soi-même, et on prend soin de soi et des autres. 

Je vais conclure comme ça tiens. 

Prenez soin de vous et on se retrouve dehors avec les fourches. 


Le petit être vivant non humain qui m'aura apporté le plus de joie cette année.


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