Conception d'un enfant, sexualité et féminisme.

J'ai abandonné mille projets et milles envies par rapport à l'écriture. Je n'ai pas l'énergie et le temps dans mon cerveau pour le moment pour faire ce que je voudrais en écriture. Tant pis, c'est comme ça, je crois que j'en ai fait le deuil pour le moment. 

Mais il y a un sujet qui me tient quand même à cœur et sur lequel j'ai envie d'écrire par ici. Ca mérite un article plus long qu'un simple post Instagram. Je suis beaucoup de comptes féministes, beaucoup de militantes etc et pourtant c'est un sujet dont je n'entends pas parler. 

Je voudrais écrire sur la période de conception du bébé.

Je vois beaucoup de choses passer sur le post-partum, sur comment avoir une répartition des tâches égalitaires dans le couple à partir du moment où l'enfant est là, sur l'éducation de l'enfant etc. Je ne vois rien passer sur l'avant, sur la conception même de cet enfant. Et pourtant que cette période a été, pour moi, riche en remise en causes et en questions féministes ! Bien plus finalement que ma grossesse - qui est pourtant aussi bien perturbante sur bien des aspects, mais c'est comme si la période d'avant, la période de conception, m'avait permise de comprendre des choses qui aujourd'hui me permettent de vivre plus sereinement cette grossesse et peut-être même, je l'espère, l'arrivée de cet enfant.

Je m'explique. 

[Tout d'abord, contextualisons. Je suis une femme blanche, cis, hétéro, en couple depuis 4 ans. En 2019 avec mon compagnon, nous avons décidé de faire un enfant. Après 19 mois d'essais infructueux et après avoir passé plusieurs examens médicaux, nous avons fait des inséminations artificielles. Je suis tombée enceinte en 2021 grâce à une insémination.]

Voir le monde sous le prisme du féminisme c'est découvrir un autre monde et tout remettre en cause ou presque. Remettre en cause sa façon de penser, ses actes et même ce qu'il y a de plus intime : sa sexualité. Le féminisme c'est remettre en cause ce que la société nous inculque depuis qu'on est petit, c'est à dire qu'un rapport sexuel c'est forcément un homme et une femme avec une pénétration d'un pénis dans un vagin qui se termine par une éjaculation masculine. Il n'y a que depuis quelques années finalement qu'on parle (en tout cas dans mon milieu) de plaisir féminin, de clitoris, de jouissance féminine. On comprend alors que le plaisir féminin ne passe pas forcément par une pénétration, que les préliminaires n'existent pas en réalité, que le cunnilingus, la fellation, et tout ce qui est dehors d'une pénétration d'un vagin par un pénis c'est aussi du sexe, que le sexe entre femmes ou entre hommes c'est aussi du sexe. On apprend à faire autrement. On apprend que si l'homme ne jouit pas à chaque rapport ce n'est pas grave. On apprend qu'un homme peut aussi dire non, qu'un homme n'a pas tout le temps envie de sexe. On apprend aussi qu'il n'y a pas de normes en sexualité, que certain.e.s font du sexe tous les jours, mais d'autres n'en font que quelques fois par an. Que le fameux "trois rapports sexuels par semaine" est un gros mythe qui nous pourrit la vie à toutes et tous. Bref, on déconstruit. C'est un travail long, parfois très compliqué, parfois douloureux. Ca suppose de se poser des questions et d'oser affronter les réponses. Remettre en cause ce qu'on croyait être quelque chose de naturel n'est pas évident tout le temps, surtout quand ça touche à un sujet aussi intime que la sexualité.

Personnellement, je ne dis pas que j'ai remis en cause toute ma sexualité, mais j'ai au moins conscience de tout ça depuis plusieurs années.

Puis, on a décidé de faire un enfant. 

Et là, tout ce que tu as mis des années à déconstruire te revient dans la gueule. 

Que conseillent les médecins pour concevoir un enfant ? Un rapport sexuel (donc avec pénétration et éjaculation bien sûr) tous les deux à trois jours. Si tu comptes, on en arrive au fameux "trois fois par semaine". Parce qu'il ne faut pas non plus le faire trop souvent sinon la qualité des spermatozoïdes peut être diminuée. Tu te rends compte que tu rentres parfaitement dans ce que la bonne société chrétienne attend de toi : des rapports sexuels (pénétration et éjaculation) trois fois par semaine environ. 

Mais la réalité est là. Si tu veux optimiser tes chances d'avoir un enfant, c'est comme ça que tu dois faire. En tout cas c'est ce que la médecine et la science disent. Alors évidemment, il y aura toujours des contre exemples, des gens pour qui ça marche juste avec un rapport sexuel. Evidemment et heureusement. 

Mais quand tu ne fais pas partie de ces gens-là, que les mois passent et que ça ne fonctionne pas, tu remets en cause ta sexualité. Au tout début, quand tu n'as pas de contraception, tu te dis "allez on verra bien", tu ne changes pas ta sexualité du jour au lendemain. Tu ne te mets pas à avoir des rapports sexuels trois fois par semaine si ce n'était pas ton rythme de base. Puis peu à peu quand tu vois que ça ne fonctionne pas, tu te dis que peut-être il serait temps d'optimiser tout ça et te rapprocher du fameux "trois fois par semaine".

Alors tu fais comment quand tu as passé les dernières années de ta vie à déconstruire 15 ans de croyances et de mythes autour de la sexualité, et que tout à coup tu dois en revenir à une sexualité très classique, très hétéronormée pour concevoir un enfant ? Et au-delà de la théorie, comment tu fais concrètement quand la pénétration ce n'est pas / plus ce que tu as envie de faire en majorité ? 

Aujourd'hui je n'ai toujours pas la réponse à ces questions. 

J'en vois venir certain.e.s derrière leur écran qui doivent se dire que je me prends trop la tête et que si tu veux vraiment un enfant et bien tu fais en sorte de le faire. En théorie pourquoi pas. En pratique c'est quand même bien plus complexe que ça. 

Perso, en tant que féministe, et en tant que meuf du 21ème siècle, j'ai quand même grandi avec l'idée que le sexe c'était cool, récréatif, que c'était fait pour se faire du bien mutuellement, pour se faire plaisir. Et tout à coup, parce que nous voulons faire un enfant, on est censé passer à une sexualité purement reproductive sans forcément y prendre de plaisir ? 

Pourquoi pas après tout. Distinguer purement et simplement sexualité reproductive et sexualité récréative. Arriver à faire la distinction. Mais en pratique, c'est plus compliqué que ça. Quand tu n'as pas envie de sexe et que tu le fais parce que tu dois le faire, ça peut marcher quelques jours mais tenir plusieurs mois comme ça, c'est très compliqué. 

Je m'interroge beaucoup d'ailleurs sur ça. Sur cette réalité là. Pour les couples dont la femme est tombée enceinte, quelle était la fréquence de vos rapports sexuels et au bout de combien de temps Madame est tombée enceinte ? Je serais très curieuse de savoir si tant que ça de couples en étaient à ces fameux trois fois par semaine. 

Quand tu rentres dans un parcours de PMA, tu passes à un niveau du dessus. Non seulement tu dois avoir des rapports sexuels réguliers mais en plus il y a des périodes où tu DOIS avoir des rapports sexuels et d'autres où tu ne DOIS PAS en avoir. Ce n'est pas tant le sujet ici donc je ne vais pas m'étendre sur le sujet mais autant dire que ça peut très facilement te bousiller toute envie et toute ta sexualité de manière globale.

La conception d'un enfant et a fortiori le parcours PMA te replace dans un rôle très genré, très classique, très hétéronormé. En tant que femme, tu te retrouves, dans le cadre sexuel, dans un rôle très passif où ta part du job en gros c'est de séduire ton mec pour l'amener à ce qu'il ait envie de toi, puis te faire pénétrer, et que ce soit suffisamment bien pour lui pour qu'il éjacule dans ton vagin. Autant dire qu'on est très loin de ma conception initiale du couple et de la sexualité. Ca place l'homme dans une situation où il DOIT bander régulièrement, où il DOIT avoir envie de sa meuf, où il DOIT être actif et nécessairement éjaculer. 

Ce qui est paradoxal c'est qu'autant ça renvoie à un rôle complétement passif de la femme et à un rôle actif de l'homme dans un cadre sexuel, mais alors toute la charge mentale (que je déteste cette expression tellement elle est galvaudée et employée à torts et à travers maintenant) de la conception de l'enfant pèse sur la femme. Dans le cadre de la conception, hors cadre sexuel, la femme est active et l'homme passif.

C'est le deuxième point que je voulais aborder. 

Quand j'ai commencé à me poser des questions sur tout ça, sur la sexualité, le couple, la conception d'un enfant et quand j'ai vu que surtout ça ne fonctionnait pas aussi vite qu'on l'aurait voulu pour nous pour concevoir cet enfant, je me suis retrouvée sur les fin fonds des forums Doctissimo et autres. Vous savez, ce moment où il est 3h du matin et où tu te retrouves à lire les histoires de "jujudu54" sur Doctissimo. J'ai découvert un autre monde avec ses codes et son langage propre. Le gyneco est le gygy, les spermatozoïdes sont des "zozo" etc. Si au début, je me suis beaucoup moquée de ce langage très infantilisant et indirectement de toutes ces femmes, je me suis rendue compte d'une chose : que ces femmes étaient très seules et perdues. C'est ce qui explique qu'elles vont chercher du réconfort et des conseils auprès de femmes comme elles sur des forums. Ca en dit très long sur le fait qu'absolument personne ne parle de conception des enfants et des questions que ça engendre, des chamboulements qu'il peut y avoir dans le corps et l'esprit. La solitude de ces femmes m'a sauté au visage. Et par conséquent, ma solitude m'a sauté au visage. Je n'ai jamais participé à un forum, je n'ai jamais appelé mon gynéco ma "gygy" mais j'étais parfois dans le même désarroi qu'elles. 

On dit toujours que c'est quelque chose qui se vit à deux, que c'est un truc de couple. 

C'est faux. 

Evidemment qu'on prend la décision à deux d'avoir un enfant. Evidemment qu'on peut tout partager avec son compagnon, qu'on peut lui confier ses doutes, ses peurs, ses espoirs, ses angoisses, ses joies et ses peines. C'est même selon moi la base de partager tout ça. 

Mais n'empêche que c'est moi qui ai arrêté ma contraception, c'est moi qui suis allée chez la gyneco retirer mon stérilet. C'est moi qui avais mes règles, c'est moi qui me posais des questions au moindre retard de règle. C'est moi qui comptais à peu près ma date d'ovulation, même sans le vouloir, même les mois où je me disais "non allez cette fois je n'y pense pas". C'est moi qui prêtais attention aux signes que m'envoyait mon corps. C'est moi qui suis allée chez ma gyneco au bout d'un an pour lui expliquer. C'est moi qui ai subi tout un tas d'examens parfois intrusifs quand Monsieur n'a eu qu'à faire un spermogramme (même si je ne doute pas que ce ne soit pas évident à faire non plus). 

C'est moi qui allais être enceinte.

Et croyez le ou non ça a été une vraie libération de comprendre ça. J'ai compris qu'en matière de conception d'enfant et donc aussi de grossesse, il n'y avait pas et il ne pouvait y avoir d'égalité entre les hommes et les femmes. 

Ca ne signifie pas que les hommes ne doivent rien faire et ne pas s'intéresser à tout ça mais on n'enlèvera pas le fait que ce sont les femmes qui portent les enfants. 

Accepter que c'est moi qui allais le porter cet enfant et donc accepter cette inégalité dans mon couple, moi la grande féministe, m'a permis de m'apaiser. 

Oui je sais ça parait sans doute évident à la plupart d'entre vous mais moi j'ai eu besoin de le formuler. Je pense que j'en ai longtemps voulu à mon mec en lui disant qu'il ne s'impliquait pas assez etc. C'était faux. Il s'est toujours beaucoup impliqué dans tout ça. J'ai juste du admettre que c'était mon corps que ça concernait et très peu le sien. 

Je pense très sincèrement que c'est ce qui m'a permis d'accepter la PMA. C'est dans mon corps qu'on a fait des piqures, c'est moi qui allais aux échographies etc. Ca me permet aussi de beaucoup mieux accepter la grossesse aujourd'hui et toutes les inégalités entre mon mec et moi qui en découlent. C'est sur moi que pèse les restrictions alimentaires, c'est sur moi que pèse la responsabilité de mettre cet enfant au monde. Et au-delà de ça j'accepte aussi d'être bien plus "assignée" à la maison que lui. J'ai accepté d'être plus fatiguée que d'habitude, de ne plus pouvoir faire de vélo, de ne plus pouvoir mener exactement ma vie d'avant avec des afterwork dans les bars etc. J'ai accepté le fait que j'allais devoir mener une vie plus à la maison, alors que mon mec lui continue à sortir plus que moi. C'est comme ça pour le moment. Mais ça ne voudra pas dire que ça devra l'être quand cet enfant viendra au monde. 

Et pourtant, je sais que cet enfant sera dans un premier temps bien plus attaché à moi qu'à son père. Apparemment les bébés ne prennent conscience de leur propre corps qu'à 6 mois. Avant ils pensent encore être un bout du corps de leur mère. Il se sera construit en moi pendant 9 mois. Il aura entendu les battements de mon cœur, mon ventre gargouiller, ma voix pendant 9 mois. Evidemment que dans un premier temps, je serais son repère, bien plus que son père. Je crois que je l'ai accepté ça aussi. 

Loin de moi l'idée d'un instinct maternel et le fait qu'à cause de ça, les femmes sauraient s'occuper de façon inné d'un enfant. Ca ne signifie pas que je saurais mieux m'en occuper et que je devrais être la seule à m'en occuper. Juste qu'en attendant qu'il soit né, ça se passe dans mon corps et que ce rapport crée inévitablement un déséquilibre entre son père et moi. Ca n'a absolument rien à voir avec l'amour et le soin que l'on peut apporter à un enfant. 

D'un côté, je suis "contente" de ne pas être tombée enceinte rapidement, parce que je pense très sincèrement que j'aurais très mal vécu les inégalités inhérentes à la grossesse si je n'avais pas analysé et formulé tout ça auparavant.

Je sais très bien ce que certain.e.s ont du se dire en lisant cet article. Que je me prenais trop la tête et que c'était sans doute pour ça que ça n'avait pas marché pour nous et que "rien n'arrive par hasard". J'écrirais un prochain article là-dessus (teaser de fifou) parce que je crois qu'il n'y a rien qui m'agace plus que ça. Mais il y a une chose que vous devez d'ores et déjà retenir : abstenez-vous de ce genre de commentaires. Vraiment.


J'ai écrit cet article il y a quelques mois. Depuis l'enfant est arrivé et je suis plus que jamais convaincue de ce que j'ai écrit ici. J'aimerais conclure avec le recul de quelques mois, mais je n'ai rien de plus à en dire. Si ce n'est que définitivement, s'il n'y a pas d'égalité pendant la conception et la grossesse, il peut y avoir une égalité entre les deux partenaires dans le soin qu'on porte à cet enfant une fois qu'il est là. Mon partenaire change les couches et donne autant de biberons que moi, il ne m'aide pas, il fait sa part. J'écrirais peut-être sur tout ça dans quelques temps mais je vais d'abord essayer de finir cet article sur cette histoire de "tu te prends trop la tête" et il " faut lâcher prise". 


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