Déclaration d'amour à Benoîte Groult



J’aimerais écrire quelque chose à la hauteur de ce qu’elle m’a apportée. De ce qu’elle m’apporte encore. Mais ça me paraît naïf de penser une seule seconde que je peux y arriver. Tout chez elle me fascine : son existence, ses romans, sa personnalité, son histoire, son féminisme « tardif », ses combats, ses histoires d’amour, sa liberté, son amour pour la pêche, l’Irlande, la Bretagne, son intransigeance, ses essais féministes, sa façon d’écrire, son humour.

Elle m’inspire. Elle me fascine.

J’ai connu Benoîte Groult par le biais de la dessinatrice Catel qui a réalisé « Ainsi soit Benoîte » qui raconte sa vie. Je ne connaissais Benoîte Groult que de nom. J’avais déjà lu (et adoré) d’autres BD de Catel (lisez ces BD, elles sont formidables !). La BD sur Benoîte Groult m’a beaucoup plu, même si j’y ai vu à l’époque certains points de divergence sur le féminisme.

Catel et Benoîte Groult
Source


Je suis entrée dans l’univers de Benoîte pour ne plus jamais en ressortir.

J’ai lu Ainsi Soit Elle qui a été une mini claque tellement je l’ai trouvé juste. Il s'agit de son essai féministe dans lequel elle revient sur les mécanismes de la société patriarcale, sur le sexisme de la société dans laquelle elle vit. Je l’avais trouvé tellement d’actualité ! Alors même qu’il est sorti en 1975 et que je l’ai lu en… 2016 ! Je me souviens de l’effroi dans lequel ça m’a plongé de me rendre compte que 40 ans après, le monde n’avait que peu changé finalement. Aujourd’hui Ainsi Soit Elle est une de mes bases, un classique de ma bibliothèque féministe. Quand j’ai refermé ce livre, c’était début 2016, Benoîte Groult était toujours en vie et je me suis dit que je devais lui écrire pour lui dire tout ça. Pour lui dire à quel point son livre avait changé ma vie, et comment des années après qu’elle l’ait écrit, il pouvait encore transformer la vie d’une jeune femme de 27 ans. Elle est décédée avant que je ne puisse lui écrire.

Benoîte Groult avec ce livre c’est l’anti Simone de Beauvoir. J’ai Le deuxième sexe quelque part dans ma bibliothèque, mais je n’ai lu qu’une partie du premier tome il y a bien longtemps. J’ai très vite abandonné, c’était bien trop compliqué ! Je n’ai jamais compris comment il avait pu devenir un best-seller notamment chez la « ménagère » (comme cette expression est horrible). Non pas que la ménagère soit forcément bête mais Le Deuxième sexe est un essai philosophique, ni plus, ni moins. C’est un énorme pavé très difficile à lire ! Régulièrement je me dis que je vais retenter de le lire, sans trouver le courage de l’ouvrir… ! Pourtant, quand je l’ai commencé, il y a de ça des années, j’étais jeune, inexpérimentée en matière de féminisme, depuis j’ai beaucoup lu et appris, je suis persuadée que si je le relisais maintenant, ça passerait mieux… Mais Benoîte Groult est 1000 fois plus accessible. Simone de Beauvoir est une femme impressionnante et inspirante, féministe, universitaire. Elle a révolutionné le combat féministe. Simone de Beauvoir fout des complexes, là où Benoîte Groult rassure. Son essai est accessible et agréable à lire.




Benoîte Groult a eu 12 vies en une, elle a commencé à écrire sur le tard, elle s’est déclarée féministe à 40 ans. Benoîte Groult décomplexe, elle fait du bien. Son existence permet de se dire que tout est toujours possible, qu’on peut écrire des bouquins féministes à 45 ans, tomber amoureuse à 60 ans et vivre une passion à 70 ans.

Avec Ainsi Soit Elle j’ai appris à connaître la militante. Avec ses romans, j’ai appris à connaître la femme. Les deux sont aussi fascinantes l’une que l’autre. Benoîte Groult met tellement d’elle dans ses romans qu’on a l’impression de la connaître un petit peu plus à chaque fois qu’on en lit un.


Dans La Touche Etoile, on suit Alice qui a 80 ans, sa sœur Hélène qui a 10 ans de moins qu’elle, sa fille Marion qui a 60 ans, leur mari, leurs enfants, leurs petits-enfants, leurs arrières-petits-enfants. Ce livre parle d’amour, de destin, de vieillesse, de maladies. Ces sujets sont chers à Benoîte Groult. Comme dans tous ses romans, c’est très bien écrit, c’est juste, beau, doux, poétique et drôle. J’adore sa façon de décrire les choses et les personnages. Elle me fait sourire et m’émeut. Je me sens différente quand je referme un de ces livres, plus grandie, plus heureuse, comme si j’avais vécu une nouvelle et belle expérience. Benoîte Groult décrit si bien les choses qu’on ne peut s’empêcher de penser qu’elle a vécu tout ce que vivent ces personnages. Elle met un peu – ou beaucoup – d’elle dans chacun de ces personnages et c’est sans doute ça qui rend ses romans si vrais et touchants.







J’ai ensuite lu Mon Evasion qui est son autobiographie. Encore maintenant j’ai du mal à mettre des mots sur ce livre tellement il m’a ému, touché, plu. Tout est juste, tout est inspirant. On en apprend plus sur son enfance, son entrée dans le féminisme, ses mariages, ses rencontres, ses amants, ses enfants, son amour pour la pêche, la Bretagne, l’Irlande. Benoîte est incontestablement la femme libre par excellence. Sa façon d’écrire me touche. C’est comme si ses mots m’allaient droit au cœur, comme si elle n’avait écrit que pour moi. Oui c’est un peu niais ce que je raconte là. C’est justement tout le contraire de l’écriture de Benoîte Groult, elle n’est pas niaise et pourtant elle parle souvent d’amour qui est un sujet dangereux et difficile à aborder en littérature. On peut vite tomber dans une écriture fade et sans saveur. Benoîte en est très loin.



Tout son talent ressort d’ailleurs dans Les Vaisseaux du Cœur, le dernier roman que j’ai lu d’elle et qui m’a retourné. Autant je pleure facilement devant les films et les séries, autant je pleure rarement en lisant des livres. A la fin de celui-là je pleurais à chaudes larmes. Benoîte raconte l’histoire d’une passion amoureuse entre un homme et une femme que tout oppose. Lui est marin, elle est universitaire. Ils couchent ensemble pour la première fois à l’aube de leurs vingt ans, ils s’aimeront toute leur vie, s’écriront, se retrouveront aux 4 coins du monde. Elle s’interroge dans l’avant-propos sur comment parler de sexe et d’amour sans être fausse, niaise, vulgaire… Et bien, elle le fait magnifiquement bien. Ce livre parle de sexualité, de sensualité, c’est cru, très explicite. Benoîte Groult ne se contente pas d’écrire qu’ils font l’amour, et on tourne pudiquement la page – sinon le livre tiendrait sur 3 pages. Non, Benoîte écrit tout, décrit tout, la passion, les égarements, la ferveur, l’anatomie des deux personnages, sa verge à lui, sa vulve à elle, ce qui excite les personnages, ce qu’ils (se) font. Ce n’est jamais vulgaire, toujours juste. 

On ne peut pas s’empêcher de penser que Benoîte a mis beaucoup d’elle dans ce roman, on ne peut pas écrire comme ça sans avoir vécu toutes ces choses… ! Quand on connaît son histoire, on sait que son roman fait écho à son histoire avec Kurt, son amant américain. C’en est d’autant plus touchant ! S’inspirer de sa vie pour faire de beaux romans, c’est ce que fait Benoîte Groult, et elle le fait si bien !

J’ai adoré lire ce livre, je l’ai refermé les yeux plein de larmes, triste de la fin – pourtant inéluctable – mais triste aussi peut-être de quitter un peu Benoîte. Je me suis promis de la retrouver très vite, mais (scandale !) je n’ai plus vraiment de livres d’elle dans ma bibliothèque. J’ai Le féminin pluriel qu’elle a écrit avec sa sœur Flora Groult. C’est aussi ça qui est touchant chez elle. Le premier lire qu’elle a sorti c’était en 1958 alors qu’elle avait 38 ans, et c’était un livre écrit avec sa sœur, un peu par « timidité » et aussi à cause de ce manque de légitimité que ressentent tellement de femmes ! Elle n’a écrit son premier livre seule qu’à 42 ans. Elle avait 45 ans au moment d’Ainsi Soit-Elle… Tout est toujours possible avec Benoîte Groult. Et c’est ça qui me plaît le plus chez elle je crois. Disons-le clairement ça me "rassure" aussi beaucoup. Je fais partie de ces nanas qui aspirent à beaucoup de choses dans la vie et Benoîte permet de me dire "ce n'est jamais trop tard".

J’ai envie de la lire encore et encore. Et ne jamais finir de la découvrir. Ce qui me rend le plus triste finalement c'est de me dire qu'un jour j'arriverais au bout de son oeuvre, que je n'aurais plus rien à lire d'elle. Mais on n'y est pas encore tout à fait. 

Lisez Benoîte Groult. C'est nécessaire.


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